—pour leїla k.
le vagabond:
ce soir leyla
la mer est un bourreau haineux
elle arrache avec volupté
chaque ongle de ta mémoire
elle te prend mille fois
mille fois jouit de te violer
la mer ce soir
la mer une tenaille au poing
et cette plaie hideuse ton enfance
rompue de deuils et de pleurs
qui du sable ou des vagues
l’ont vue s’éteindre
écartelée
sous les clameurs du ressac
ô leyla ma douce poétesse qui
pas même les mouettes du grand large
quand leurs chants déchirés
ont éparpillé ta blessure
à la soif meurtrière des balles
ce soir leyla quelle connerie la guerre
la poétesse:
ma terre cloaque de sang
sourire tendu sectionné
en vaine lapidation
cyclope d’amère lice
hantant la mémoire éparse
des hirondelles
à sabra et chatila
ô mon poète des contrées de l’errance
des mains de fiel
ont trait les brebis
et le miel a caillé
aux mamelles des abeilles
sur la plage
une petite fille
noue pluie d’amour
une petite fille jour et nuit
construit château de mots
hormis chant malice et religion
sur la plage nue
les vagues lasses de mourir
se sont tues
le vagabond:
ce soir leyla
nos lettres blanches
à l’égal de nos maux
nos lettres s’étalent dans les nuits trop lentes
quelque part entre l’aube
et la perte du jour d’avant
à mi-sentier entre haїti et le liban
nos lettres orphelines
de nos mots et de ton rire
du halo inquiet de tes cigarettes
s’acharnent à séduire l’interdit
tandis que je m’obstine
à rêver le plain-chant
de nos deux rives
de nos deux corps
fantômes de feu en pérenne et inutile attente
nos révoltes aussi
et nos jeunesses au loin là-bas
dont l’absence nous tarit
chaque jour un peu plus
ce soir leyla écouter ensemble
battre le souffle de la terre
aussi limpide que le rire du nouveau-né
et rejoindre cette vie d’avant la haine…
la poétesse:
…celle qui tourbillonne ô mon poète
prête à éclater comme un volcan
prête à s’envoler comme un rayon de mer
le vagabond:
mais ces éclats de poudre et de folie
lunes mortes entre deux soleils
ces éclats de sang et de fiel aussi
et dans nos rêves suspendu
l’envol calciné de la colombe
cantata for two voices
—for leїla k.
the wanderer:
tonight leyla
the sea is a hateful hangman
it delights in ripping out
each fingernail of your memory
it takes you a thousand times
a thousand times it climaxes as it rapes you
the sea tonight
the sea a pair of pincers in hand
and this hideous sore your childhood
broken by mourning and tears
which one of the sand or the waves
saw it die out
dismembered
under the backwash roar
o leyla my sweet poetess which one
not even the seagulls of the open seas
when their shredded songs
scattered your wound
to the murderous thirst of bullets
tonight leyla war’s a fucking mess
the poetess:
my land a cesspool of blood
tense severed smile
in a vain stoning
cylops of a bitter contest
haunting the scattered memory of the swallows
at sabra and shatila
o my poet from the lands of wandering
hands of venom
have milked the sheep
and honey has curdled
in the breasts of bees
on the beach
a little girl
spins love rain
a little girl day and night
builds castles of words
omitting song perfidy and religion
on the naked beach
waves tired of dying
have fallen silent
the wanderer:
tonight leyla
our letters
as white as our sorrows
our letters spread into too slow nights
somewhere between dawn
and the loss of the day before
midway between haiti and lebanon
our letters deprived
of our words and your laughter
of the worried halo of your cigarettes
insist on seducing the forbidden
while i persist
in dreaming of plainchant
of our two shores
of our two bodies
phantoms of fire on permanent pointless hold
our rebellions too
and our youth far away over there
whose absence drains us
a little more each day
tonight leyla together let’s listen
to the throbbing breath of the land
as pure as a newborn’s laughter
and return to that life before hate
the poetess:
…the one that roils o my poet
ready to erupt like a volcano
ready to fly off like a sea ray
the wanderer:
but these bursts of gun powder and lunacy
dead moons between two suns
these bursts of blood and venom too
and dangling in our dreams
the charred flight of the dove
Translated from French into English by Nancy Naomi Carlson.